De l’intime
Ou l’art de vivre au quotidien aux XVIIIe et XIXe siècles
À l’occasion du premier récolement décennal des collections des musées de France1, le musée des Arts décoratifs de Bordeaux a (re-)découvert dans ses réserves de nombreux documents et objets témoignant de la vie quotidienne aux XVIIIe et XIXe siècles. Qu’ils aient appartenu à des anonymes ou aux descendants des Bourbons, ces accessoires de costume, lettres, carnets de bal, jouets, bijoux, et autres petits ouvrages nous proposent une incursion dans l’intimité des foyers de l’époque : on imagine une femme élégante, assise à sa toilette, une fillette jouant à la dînette et un jeune homme choisissant l’épingle qu’il piquera dans sa cravate de soie. Ce quotidien est marqué par des objets qui sont à la fois le reflet de goûts personnels et les supports d’expression de codes fixés par des groupes sociaux en matière de mode, de mœurs, de comportements.
C’est à cette frontière entre ce que l’on est et ce que l’on doit paraître que se situe le périmètre de l’intime à l’époque. Au sens où l’entend le XVIIIe siècle, l’objet le plus intime actuellement serait certainement le téléphone portable : il renferme et protège par un mot de passe toute la vie privée de son propriétaire mais il est en même temps le meilleur moyen de communiquer volontairement certaines de ces informations, via des applications ou même des accessoires qui permettent de le personnaliser.
À l’occasion de cette exposition, cent cinquante objets habituellement conservés dans les réserves seront présentés au public. Ils y côtoieront des œuvres prêtées par le musée d’Aquitaine et le musée Goupil.
La notion « d’intime » aux XVIIIe et XIXe siècles
Lorsque le mot est cité pour la première fois dans les dictionnaires au XVIIe siècle, il désigne uniquement un lien d’amitié très fort. Aujourd’hui, il évoque essentiellement la sexualité, le corps. Entre ces deux définitions distantes de quatre siècles s’est opérée une mutation sémantique très importante qui est également l’objet de cette exposition.
Le tournant se situe à la fin du XVIIIe siècle : la notion d’intime (du latin interior) se recentre alors sur l’individu et ses émotions. L’adjectif est utilisé – et c’est la première fois – pour qualifier des écrits autobiographiques privés : les journaux intimes. En même temps, chaque individu est fortement conditionné, dans sa manière de se comporter, de s’habiller, d’organiser sa journée, etc., par son appartenance sociale. L’intime naît précisément de cette tension entre le privé et le public, l’individu et le groupe social, l’être et le paraître. Cette ambigüité perdure jusqu’à la fin XIXe siècle, quand le Nouveau Larousse illustré définit encore l’intime comme tout « ce qui se passe à l’intérieur de la famille ou d’une société »