La couleur apparaît dans l'œuvre de Raymond Depardon dès les premières images. Il a alors 16 ans. Depuis, elle l'accompagne dans tous les moments forts : les années de découverte de la photographie, les premiers voyages en Afrique, les grands reportages, puis plus récemment "un moment si doux" qui donne à l'exposition son titre. L'exposition présente 137 photographies en couleur. 40 ont été spécialement réalisées pour l’exposition au MuCEM, dont 23 prises à Marseille. Avec la couleur comme fil conducteur, elle invite à une déambulation dans l'œuvre et la vie de l'artiste depuis la fin des années 50 jusqu'à aujourd’hui.
Les années déclic
Je ne savais pas que j'étais un photographe de la couleur. Elle était pourtant là. Dès les premières images, Raymond Depardon. Chez Raymond Depardon, la couleur est liée à l’enfance. Ses premières images sont celles de sa mère, des animaux de la ferme de ses parents, du tracteur rouge, de la toile cirée dans la cuisine. Il n'a pas encore 20 ans quand "il monte" à Paris, il s'installe dans l'arrière-boutique d'un photographe de l'Île Saint-Louis où il se photographie sur son scooter. Il devient photographe reporter, il photographie Edith Piaf, on l'envoie en Afrique, il découvre le monde. Depuis, la couleur accompagne sa curiosité.
Reporter
Dans les années 70 et 80, Raymond Depardon travaille pour de grandes agences ; Dalmas, Gamma, Magnum. Il photographie en couleur, il pense en couleur, questionnant l'être humain et la bonne distance avec le réel. Au Chili en 1971, à Beyrouth en 1978, à Glasgow en 1980 il ne cherche pas l'événement mais ce qui se passe autour, dans les marges. Ce sont des reportages fondateurs.
Chili
En 1971, deux ans avant la mort de Salvador Allende, il photographie les indiens Mapuches qui luttent pour vivre sur la terre de leurs ancêtres. Il observe les hommes qui travaillent les champs et pense alors à son père. Il a 28 ans, il interroge son rapport au monde et au sujet, il cherche une nouvelle voie.
Beyrouth
En 1978, envoyé par le magazine allemand Stern, c'est à Beyrouth qu'il choisit de prendre ses distances avec le reportage, il ne photographie pas la guerre civile mais ses conséquences. Raymond Depardon y reste un mois photographiant passionnément en couleur. Son reportage fera le tour du monde.
Glasgow
En 1980, à la demande du Sunday Times il part à Glasgow. Photographe du sud et du désert, Glasgow lui semble aux antipodes de sa photographie. Il découvre pourtant les lumières du nord, il s'en souviendra plus tard lorsqu'il photographiera le nord de la France. À Glasgow il se pose des questions d'anthropologue : comment éviter l'exotisme, quelle distance adopter ? Dans les grandes villes Raymond Depardon se sent comme un exilé de l'intérieur, jeune homme il en a souffert à son arrivée à Paris. Glasgow qui ne sera jamais publié anticipe le travail sur les grandes villes qu'il expose à la Fondation Cartier pour l'art contemporain en 2004.
Un moment si doux
C‘est dans les années 2000 que la couleur réapparaît et s'impose, elle n'est plus liée au reportage, à la presse, à l'événement mais à la quête d'une vérité de soi, à la recherche du bonheur, d'un endroit où vivre, d'un commencement. Depardon redécouvre les lumières et les couleurs de l'Ethiopie, de l'Amérique du Sud et des palmeraies tchadiennes. Pour ce projet, il est spécialement revenu dans 5 pays (Ethiopie, Tchad, Bolivie, Hawaï et Etats-Unis) afin de réaliser une nouvelle campagne de photographies. La présentation de l’exposition au MuCEM est l’occasion de nouvelles prises de vue à Marseille et de la révélation d’un nouveau volet méditerranéen.
"Un moment si doux" dessine alors une approche plus silencieuse, plus intériorisée, plus mentale. Raymond Depardon est maintenant à la recherche, selon la formule de Clément Rosset, de la "douceur du réel".
Autour des photos réalisées à Marseille par Raymond Depardon en mai-juin 2014 pour l’exposition au MuCEM : « Des enfants courent entre les tables. Je sens que je ne dois pas bouger, Raymond a repéré une passante sur la place, un carré de lumière encadre sa silhouette, il fait semblant de me viser et attrape la bonne photo. Avec son Rolleiflex, il ne se cache pas derrière l’appareil, il baisse les yeux pour cadrer. Il le déplace latéralement, toujours à la même hauteur. C’est peut-être cette technique qui donne cette tendresse particulière à ses photos de rue. »
Extrait du texte de Claudine Nougaret pour Méditerranée, Raymond Depardon (Éditions Xavier Barral, en coédition avec le MuCEM, 2014)