« L’Afrique nouvel eldorado des investisseurs » (Le Monde), la « burgeoning bourgeoisie » (The Economist)... L’image du continent africain a bien changé en quelques années, passant du continent du malheur (hopless continent) à celui de la nouvelle frontière et de l’émergence. Saisir ces mutations est ce qui rassemble depuis 2008 un photographe, Joan Bardeletti, et une équipe de chercheurs de Sciences Po Bordeaux / Laboratoire « Les Afriques dans le monde », tous engagés dans l’interprétation de ce qui est présenté comme l’un des faits marquants dans tous les pays émergents et notamment sur le continent africain : l’émergence des
classes moyennes.
Les « ni riches ni pauvres »
L’exposition présente cette nouvelle Afrique dans laquelle se côtoient en milieu essentiellement urbain, la pauvreté massive, l’opulence de riches peu nombreux, et entre ces deux extrêmes le bloc de «ceux du milieu», les «ni riches ni pauvres» qui déploient leur ingéniosité pour « s’en sortir » tout en participant directement aux mutations en cours. Ces gens du milieu, ceux qui sont qualifiés par les gros titres de la presse généraliste et économique de « classes moyennes » sont au cœur de l’exposition. Par les photographies et par le texte s’imposent au visiteur leur histoire, leurs trajectoires fragiles de mobilité sociale, leur vie au quotidien, leurs espoirs et leurs frustrations. Ils sont soumis à des tensions permanentes pour « joindre les deux bouts », améliorer leur sort, assurer un meilleur futur à leurs enfants, et gérer les conflits entre les traditions sociales et la vie « moderne ».
Ces histoires de vie, marquées par la quête de la promotion en Afrique du Sud, au Mozambique, en Côte d’Ivoire, au Ghana, mais aussi en Ouganda, au Mali, au Sénégal et en Ethiopie, soulignent, au-delà des différences, des caractéristiques communes. Les gens de l’entre-deux expriment une quête du mieux-être, une projection vers un meilleur futur, d’autres manières de vivre qu’ils ne perçoivent qu’indistinctement mais vers lesquelles ils tendent. Depuis longtemps des icônes africaines sont devenues des stars internationales (astrophysiciens, économistes, chanteurs, sportifs) et des figures de la réussite ont été identifiées par la littérature spécialisée. Mais ces mouvements massifs beaucoup plus modestes et quasi-souterrains de petite prospérité, des gens du commun, de ceux du milieu, c’est-à-dire en réalité de ce que Balandier appelait « le bas » commencent à peine à être documentés. Par la photographie et l’éclairage sociologique, l’exposition met à la lumière les très nombreux « invisibles » porteurs de ces nouvelles dynamiques sociales, économiques et politiques, qui ne se définissent généralement pas spontanément comme des «classes moyennes».
Photographie et science politique : dévoiler les invisibles
L’association de la photographie et de la science politique, dans un même projet, est une aventure ancienne mais qui demeure encore aujourd’hui relativement rare. Elle permet de dévoiler en jouant sur l’esthétique, sur l’émotion, sur la méthode et sur la raison scientifique, le quotidien de la vie ordinaire et de saisir en quelques images contextualisées, des mutations sociales et politiques les plus triviales, les plus violentes ou les plus choquantes. Elle permet d’enrichir la connaissance en multipliant les perspectives et les regards.