23 Oct. 2009
28 Nov. 2009

WE ARE SUN-KISSED AND SNOW-BLIND

GALERIE PATRICK SEGUIN

À l’invitation de la Galerie Patrick Seguin (Paris), la galeriste zurichoise Eva Presenhuber organise une exposition portant le titre de We Are Sun-kissed and Snow-blind et rassemblant des œuvres – certaines nouvelles, d’autres datant de ces dernières années – de 22 artistes contemporains : Doug Aitken, Martin Boyce, Angela Bulloch, Valentin Carron, Verne Dawson, Trisha Donnelly, Maria Eichhorn, Urs Fischer, Peter Fischli / David Weiss, Sylvie Fleury, Liam Gillick, Douglas Gordon, Mark Handforth, Karen Kilimnik, Andrew Lord, Hugo Markl, Gerwald Rockenschaub, Tim Rollins and K.O.S., Ugo Rondinone, Jean-Frédéric Schnyder, Josh Smith ainsi que Franz West. Point commun : tous ces travaux sont blancs.

Une exposition tout en blanc – cette information laisse le champ libre à deux malentendus possibles qu’il convient de dissiper sans plus attendre.

Malentendu 1 : Le blanc comme couleur symbolique de la virginité, de la pureté, de l’innocence, de la simplicité, de l’affliction, de la mort, de la joie, de la vie (selon la culture). Le blanc des gourous de l’universalisme tout de blanc vêtus, mais aussi des artistes (Karl-Heinz Stockhausen) ou des philosophes (Alain Badiou). L’idéal, le bien, le commencement, le nouveau, le nord, la vérité, la neutralité d’une instance centrale, l’intelligence, la science, l’exactitude. Le pape. Le vide. Le Ku Klux Klan. La nuit sans sommeil. Le territoire inexploré. La capitulation.

Malentendu 2 : Le blanc comme couleur à la mode. L’été. La Méditerranée et la mondanité. Les yachts et les cabriolets. Les lignes blanches. Le lieu où toutes les autres couleurs scintillantes se chauffent au soleil. Les interfaces minimalistes (Apple). Michelle Obama (Narciso Rodriguez) et Carla Bruni (Dior), juin 2009. New York Fashion Week septembre 2007, couleur de la saison : blanc. New York Fashion Week février 2008, couleur de la saison : blanc. Marylin Monroe, toujours en blanc, etc.

Même si l’on ne peut nier que tout cela puisse entrer en ligne de compte dans l’interprétation de cette exposition, pourquoi parlons-nous de malentendus ? Parce que, en bref, il s’agit là de normes de la vie en société qui tentent de se présenter comme obligatoires, nécessaires, définitives par rapport aux propriétés physiques effectivement absolues, nécessaires, définitives du phénomène lumière. Elles se revêtent de blanc de par la puissance de la lumière blanche, aveuglante. Tant que ce n’est qu’un jeu, il n’y a rien à redire (le pape à la Fashion Week ; les cabriolets, symboles de virginité). Ce qui ne colle pas, c’est la tentative de transformer en norme sociétale matérielle une propriété physique immatérielle. Une formalisation obligatoire. Une transfiguration.

Il en va de même pour l’art. Voyons l’histoire des marbres d’Elgin, ces sculptures du Parthénon qui, on le sait, se trouvent au British Museum. Elles ont été emportées en 1801 en Angleterre ; on débat aujourd’hui encore pour savoir si elles doivent y rester ou être rendues à la Grèce. Pour la première fois, on a pu prouver cette année ce que l’on soupçonnait depuis un certain temps déjà : sur certaines de ces sculptures en marbre, éblouissantes de blancheur, on a décelé la présence de pigment bleu égyptien. On sait depuis longtemps que les sculptures antiques représentant des divinités étaient souvent entièrement peintes de toutes les couleurs. La pure blancheur des antiquités est une invention des temps modernes : le voile de l’immortalité devrait dorénavant s’étendre au prétendu kitsch du bigarré.

Du bleu égyptien… Comme si nous étions devant un Yves Klein. La dynamique du blanc de sa fameuse Exposition du vide chez Iris Clert en 1958 – la petite galerie blanche sans objets, le vide blanc faisant office d’objet exposé – s’était vue encadrée de l’extérieur par la mise en scène de l’Yves Klein Blue en guise de vitrine, de rideau, de cocktail. 3 000 personnes firent la queue. Klein échappa à la normalisation en blanc avec une pompe calculée en passant de la métaphysique à la pataphysique. Deux autres brefs exemples tirés de l’histoire de l’art : Cy Twombly et Robert Ryman ont développé une stratégie opposée. On attribue volontiers aux sculptures blanches du premier – des assemblages d’objets de la vie quotidienne peints en blanc – une force méditative pure ; mais en fait, comme Roland Barthes l’a montré surtout à propos de ses tableaux, ils sont l’expression de gestes faciles qui confèrent à « l’action une atmosphère », une sorte de « nuage ». Le caractère fugitif, sans prétention, du geste s’insère alors entre la propriété physique immatérielle du blanc et sa détermination matérielle sociétale en tant qu’éternité muséalisée (à l’instar du médium peinture chez Robert Ryman).

Au sujet du White Cube, Brian O’Doherty a dit tout ce qu’il y avait à en dire ; lui aussi s’en tient à cette réglementation sociétale. We Are Sun-kissed and Snow-blind (2005) de Martin Boyce – une structure en tubes d’acier peints en blanc sur laquelle on a posé un tissu – fait penser à du linge lapidaire suspendu. Prenons encore un autre exemple. Invisible Man (d’après Ralph Ellison, 1999) de Tim Rollins & K.O.S. : les pages du célèbre roman datant de 1952 de Ralph Ellison – où il décrit le racisme à l’égard des Afro-Américains et où le protagoniste se sent rendu invisible par le racisme – sont appliquées sur la toile, les lettres « I » et « M » entourées de blanc. Dans ce cas, c’est la littérature qui met sur le tapis la question de l’interruption du masquage idéologique de l’éternité.

Que ce soit par le caractère fugitif et lapidaire du geste, sa caricature humoristique ou sa signification politique directe, le blanc en tant que pur symbole, en tant que simple mode, disparaît des objets exposés et, bien qu’ils semblent se fondre dans le blanc de l’espace, il les fait au contraire apparaître.

Jörg Heiser, le 31 juillet 2009

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