Nous sommes en janvier 1954, l’hiver est particulièrement rude et la crise du logement s’aggrave depuis la guerre.
L’abbé Pierre fait déposer un amendement à la loi de finances des logements HLM pour que soit affecté un milliard (d’anciens francs) à la construction de logements d’urgence.
Mais l’amendement est rejeté dans la nuit du 3 janvier. Au moment même un enfant et une vieille femme meurent de froid à Paris.
L’abbé Pierre lance un poignant appel radiophonique pour venir en aide aux sans-abri et fonde fin janvier “Les Compagnons d’Emmaüs”, communauté ouvrière de chiffonniers, d’aubergistes et de bâtisseurs.
Il fait appel à Jean Prouvé pour concevoir et construire une maison bon marché correspondant à un appartement normalisé F3 (environ 50 mètres carrés) comprenant deux chambres, un vaste séjour prolongé par une cuisine ainsi qu’un bloc sanitaire ménager.
Cette maison devait servir de démonstration et inciter la fabrication de logements individuels ou collectifs suivant des procédés industriels.
Afin de financer le projet, l’abbé Pierre envoie un nouvel appel : “Au secours ! Aidez-nous immédiatement à les loger” et obtient ainsi le concours de la marque de lessive Persil qui s’engage dans une importante campagne publicitaire (“La grande quinzaine de Solidarité Persil”). Les paquets de lessive portent l’inscription : “10 francs pour les sans-logis” et pour chaque bon retourné, l’abbé Pierre reçoit 10 francs de la part de Persil.
Parallèlement à cette campagne est édifiée sur le quai Alexandre III une maison témoin pendant le Salon des Arts Ménagers.
L’accueil du grand public est à la mesure de l’enthousiasme des architectes ; cependant cette maison de 57m2 montée en sept heures, trop révolutionnaire pour son époque, n’obtiendra pas les homologations officielles pour une production en série, les fonctionnaires de l’homolagation n’admettant pas qu’une salle d’eau puisse être située au coeur de l’espace d’habitation.
Seuls cinq exemplaires au total en seront fabriqués.
Le 29 février 1956, Le Corbusier revient d'une visite de la Maison des Jours Meilleurs que Jean Prouvé a conçue pour l'abbé Pierre et qui est présentée sur le port des Champs-Élysées à Paris. Il écrit :
“Jean Prouvé a installé sur le quai Alexandre III la plus belle maison que je connaisse, le plus parfait moyen d'habitation, la plus étincelante chose construite.
Et tout cela est en vrai, bâti, réalisé, conclusion d'une vie de recherche.
Et c'est l'abbé Pierre qui la lui a commandée !”
Quel plus bel hommage peut-on rendre au travail et aux vingt ans de recherche de Jean Prouvé sur le principe constructif ?
C'est dans cette perspective, celle de l'hommage au génie d'un homme, que la Galerie Patrick Seguin a choisi de présenter les architectures de Jean Prouvé.
La réflexion sur la logique constructive est la base de toute l'œuvre de Jean Prouvé, mobilier comme bâtiments découlent pour lui d'une même réflexion, d'une même pensée, d'un même geste. Dès ses premiers travaux Jean Prouvé se posait la question de la construction et de son industrialisation. Très, trop, en avance sur son temps, l'œuvre constructive de Jean Prouvé sert aujourd'hui de référence aux architectes du monde entier.
Après le bureau de l'usine Ferembal, adapté par Jean Nouvel, présenté dans le jardin des Tuileries en 2010, puis une Maison Métropole, sur le même site en 2011, la Galerie Patrick Seguin présentera la Maison des Jours Meilleurs de Jean Prouvé à partir du 25 mai 2012, dans son espace de la rue des Taillandiers.
La “Maison des Jours Meilleurs » proposée à l’Abbé Pierre par Jean Prouvé résume parfaitement sa conception d’un habitat individuel industrialisé durable, léger, économique et confortable, telle qu’il l’expérimente depuis presque vingt ans.
Le projet renvoie aussi à la réactivité de Prouvé qui, pour répondre à une situation d’urgence, fait étudier et mettre au point en quelques semaines seulement un modèle associant ses expériences antérieures à une mise en œuvre novatrice et à des matériaux de pointe. L’idée constructive est basée sur un concept créé en 1952, dans son usine de Maxéville, avec l’architecte Maurice Silvy : sur le soubassement en béton formant une cuvette, vient se poser un bloc central préfabriqué en acier, abritant la cuisine et les pièces d’eau et qui, supportant une poutre en tôle pliée, forme l’ossature porteuse.
L’enveloppe est constituée de panneaux-sandwich en bois thermoformé. Les panneaux sont de différents modèles : pleins, avec porte, avec fenêtres à guillotine, arrondis pour les angles. La couverture est constituée de bacs d’aluminium débordant de 50 cm sur toutes les façades, avec un auvent de 1,20 m sur la façade principale et protégeant la baie vitrée.
Jean Prouvé a réalisé, en petites séries, plusieurs modèles de maison. Ce sont ces bâtiments que la Galerie Patrick Seguin présente au public depuis quelques années.
Suivront ainsi chaque année d'autres bâtiments illustrant la richesse de la pensée et de l'œuvre de Jean Prouvé :
- la Maison des Sinistrés de Lorraine 6x6 m (1944) au printemps 2013,
- le prototype de la Maison BCC de Pierre Jeanneret et Jean Prouvé (1942) en mai 2014.
Des films et l'édition d'un livre en 9 volumes sur les différentes architectures démontables réalisées par Jean Prouvé accompagneront ces expositions.