Théâres dans le Théâtre
Pour sa première grande exposition monographique dans une institution française, Neïl Beloufa, jeune artiste très remarqué sur la scène internationale, en particulier aux Etats-Unis où il bénéficie d’une double exposition personnelle à l’été 2012, propose un état des lieux de sa propre production, interrogeant, dans un décor, le rôle de l’artiste mais aussi la fonction des images, des figures et des mythes dans un monde médiatisé. Fasciné par la jungle des signes, il élabore des mises en situation qui explorent les ruses de la mise en abyme pour concevoir de véritables « théâtres dans le théâtre ». Situations enchâssées, impressions palpables de déjà-vu ou de déjà-vécu, effets de miroir, jeux de rôle : tels sont les signes qui caractérisent les vidéos comme l’ensemble de l’œuvre de Neïl Beloufa qui place le spectateur au cœur de son dispositif. Ainsi, sa démarche semble relever d’une nécessité première, celle d’offrir une image regardée du monde en déconstruisant ses codes, symboles, mythes et systèmes économiques.
Jeu de décors
Au Palais de Tokyo, Neïl Beloufa, né en 1985, transforme une partie de la Galerie Basse en trois grands décors séparés par de simples cloisons. Une salle reproduit le décor bourgeois d’un appartement haussmannien avec une vue en trompe l’œil sur la Tour Eiffel, l’autre reconstitue une salle de réunion d’état-major des grandes puissances mondiales à l’image de celle du Dr Folamour de Stanley Kubrick, enfin la troisième est un bar situé sur une ile paradisiaque, au décor à l’antique, évocation possible et lointaine du célèbre tableau de Thomas Couture Les romains de la décadence. Conçus en amont de l’exposition, ces décors qui pourraient être ceux d’une sitcom ou d’une émission de téléréalité servent au tournage de trois vidéos.
La peur du déclin
De la vente d’un bel appartement par un agent immobilier qui ressasse à différents clients le même discours à la « reconstitution » d’une réunion d’un faux
G10 qui tente de résoudre un conflit fictif en passant par l’ambiance décadente d’un lendemain de soirée de jeunes gens désœuvrés, ces trois vidéos autonomes sont paradoxalement interdépendantes. En effet, des images parasites, viennent brouiller, à l’image du zapping télévisuel, chacun de ces trois scénarii, créant par ce jeu d’intrusion, une trame thématique globale. Ces trois vidéos, selon l’artiste « construisent peut-être l’imagerie d’un déclin ou la peur d’un déclin ».
L’Œuvre en ruine
Ces images – exploitées comme des inserts dans les trois vidéos brouillant et unifiant leur message – seront toutes enregistrées alors même que le cadre de ce théâtre éphémère sera dégradé sous l’œil d’une caméra. Il résulte de cette intervention un nouveau décor fait de sculptures, de formes architectoniques multiples et déstructurées, qui ensemble constituent le cadre de son installation. C’est donc une ambiance de ruines et de traces – création artificielle d’un monde en déclin – que découvre le visiteur. Celui-ci, une fois présent dans cet espace, devient à son tour, acteur dans un théâtre, dans un monde déréalisé où l’illusion, (l’apparence) est peut-être en passe de devenir expérience.
Désorganisation volontaire du comportement
Ces Inoubliables prises d’autonomie incitent à une désorganisation volontaire du comportement du visiteur. Celui-ci découvre un récit fragmenté et parcellaire qui, sans début ni fin, entremêle fiction et réalité, jusqu’à la découverte des images et des formes produites dans ce contexte. Cette proposition artistique placée sous le signe du spectacle n’est pas sans évoquer cette formule employée en 1995 par Philippe Parreno en collaboration avec Rikrit Tiravanija et Carsten Höller dans Vicianito : « il n’y a pas de différence entre un événement, son image et sa perception. Et s’il existe une différence, nous ne la remarquons presque pas. La réalité est faite de cela. »
Commissaires : Gaël Charbau et Daria de Beauvais