Après Ryan Gander, Evariste Richer conçoit une nouvelle « Bibliothèque d’artiste » pour le Palais de Tokyo. L’occasion pour l’artiste d’entraîner le visiteur dans le plus lointain comme dans le plus enfoui. On y découvre ainsi la démesure d’une photographie à l’échelle de milliards d’étoiles que constituent les nuages de Magellan mise en regard de la présentation exhaustive de la collection minéralogique de l’abbé René Just Haüy. L’univers de référence de l’artiste se joue à la croisée des disciplines, reliant des mondes qui a priori s’ignorent et qui, le temps d’une exposition, invitent à faire l’expérience des distorsions provoquées par les instruments de mesure inventés au cours des siècles. L’artiste met en évidence les correspondances entre le refoulé minéral et l’immensité en expansion, le poétique et le cosmique, la réalité et l’imaginaire.
BIBLIOTHÈQUE D'ARTISTE
Chaque saison, un artiste est invité à réaliser une exposition qui donne accès à un espace qui n’existe que par et dans son esprit en mettant en scène les connections implicites de son univers mental. Ce programme permet de découvrir sa sensibilité et d’être au plus près de l’acte créateur. « L’une des meilleures manières de recréer la pensée d’un homme : reconstituer sa bibliothèque » écrit Marguerite Yourcenar dans les carnets de notes des Mémoires d’hadrien.
L'ÉCART ENTRE SCIENCE ET RÉALITÉ
Si l’art d’Evariste Richer (né en 1969, vit et travaille à Paris) devait se résumer en une action, ce serait celle de l’écart. écart entre les sciences et le réel d’abord. Dans nombre de ses œuvres, Evariste Richer s’inspire des instruments de mesure. Destinés à quantifier et par là rationaliser les phénomènes, ceux-là sont remis en jeu pour établir une tension entre l’objet et le sujet, le réel et l’invisible. La réduction des moyens en accentue l’écart évocateur. Evariste Richer appréhende les distorsions propres aux instruments de mesure ou émergeant au fil de l’évolution technique et scientifique. Explorant la fécondité sémantique, parfois même affective, de ce territoire, il en exhume autant de récits proposés au spectateur.
ASTRONOMIE, MINÉRALOGIE: LE LOINTAIN ET LE PROFOND
Pour « Le Grand élastique », Evariste Richer conçoit une bibliothèque embrassant des objets aussi différents qu’un observatoire astronomique indien, une collection de minéraux et une photographie de nuages célestes. Au cours d’un voyage en Inde il y a quelques années, Evariste Richer a visité le site d’observation astronomique Jantar Mantar de Jaipur, construit dans la première moitié du XVIIIe siècle. Cet observatoire de la mécanique céleste parmi les plus grands jamais édifiés, désormais obsolète, demeure au croisement du « point fixe » et du mouvement astral, du minéral et du céleste.
La minéralogie est une discipline aux méthodes variées qui répertorie et classe les minéraux. Elle préside à la constitution de collections comprenant des pierres récupérées à plus de trois-cents kilomètres de profondeur ou provenant d’astéroïdes lointains. L’histoire de cette discipline a été fortement marquée par l’abbé René Juste Haüy, auteur d’une méthode d’analyse structurelle visant à définir l’espèce minérale dans sa globalité. Plus d’un siècle plus tard, la collection de Roger Caillois et son approche simultanément typologique et poétique ont fait également date. Inventée en 1931 par Bernhard Schmidt, la lame de Schmidt est une lentille asphérique utilisée pour corriger l’aberration géométrique dans les télescopes utilisant un miroir primaire sphérique. Dès 1949 des télescopes de Schmidt de différents observatoires, centralisés par celui du Mont Palomar (Californie), contribuent en huit ans à la réalisation de centaines de photographies, produisant une véritable mise au carreau du ciel, produisant une véritable mise au carreau du ciel. Evariste Richer a fouillé au sein de ces constellations pour révéler les nuages de Magellan, véritables matrices à étoiles, et conduire notre regard le long de cet infini fragmenté et étiré.
Evariste Richer conçoit sa bibliothèque à la manière d’« un grand élastique » qui, à l’instar de Jantar Mantar, relie le profond au lointain, une ellipse révélant l’instabilité des outils et l’irréductibilité de notre monde au visible.