Le Palais de Tokyo poursuit son exploration des interstices entre les mondes de l’art et des sciences en rendant un hommage à ce grand artiste et inventeur qu’est le sculpteur Takis, qui aura 90 ans en 2015.
Celui qui fut le premier à « envoyer un homme dans l’espace », six mois avant Youri Gagarine, à l’occasion d’une célèbre performance, et qui réalisa en 1988 un monumental bassin de signaux lumineux sur l’esplanade de la Défense, que des milliers de personnes aperçoivent tous les jours sans probablement en connaître l’auteur, est une figure majeure de l’art d’après-guerre.
Né à Athènes, installé à Paris dès les années 1950, Takis a choisi d’explorer dans son oeuvre l’énergie des champs magnétiques. Dans la proximité de ses contemporains du Nouveau Réalisme, il intègre à sa démarche sculpturale le mouvement, la lumière, la musique, combinés à l’usage des aimants.
De la mise en scène des forces magnétiques à son «hommage à Kafka» et les grands bronzes à caractère érotique, l’exposition rassemble une cinquantaine d’oeuvres spectaculaires. Il s’agit de la plus vaste monographie de l’oeuvre de Takis depuis celle du Jeu de Paume en 1993.
Expérimentateur infatigable, « savant intuitif », Takis n’a cessé de chercher à capter l’énergie cosmique en mariant l’art et la science.
Plasticien contemporain d’avant-garde, son oeuvre est ancrée dans une tradition sculpturale, allant de la sculpture archaïque grecque et Giacometti aux objets de rebut de la technologie.
Fasciné par la « magie scientifique », à l’origine d’inventions (il déposera même des brevets industriels), Takis est aussi un philosophe des sciences s’imprégnant régulièrement des grands ancêtres de la philosophie présocratique, de la médecine d’Hippocrate jusqu’à l’Égypte ancienne.
« …Takis, gai laboureur des champs magnétiques et indicateur des chemins de fer doux ». Marcel Duchamp avait le secret des aphorismes et celui qu’il dédia à Takis en 1962, peu après leur rencontre à New York, a condensé en quelques mots l’apport de Takis à l’histoire de la sculpture contemporaine. En effet, c’est l’énergie magnétique, la force des aimants tenant en lévitation des matières métalliques, qui constitue le vocabulaire principal d’un artiste dont les inventions plastiques sont en relation directe avec les sciences.
L’évocation ferroviaire dans la formule de Duchamp est tout sauf gratuite : c’est en effet la vision de la gare de Calais qui conduisit Takis à imaginer ses premières sculptures abstraites, des forêts de signaux métalliques, aux tiges flexibles et aux mouvements légers, bientôt complétés d’autres longues antennes verticales terminées par des lumières clignotantes. « Des yeux de monstres s’allumaient et s’éteignaient, des rails, des tunnels, une jungle de fer », écrit Takis dans Estafilades, son autobiographie publiée en 1961.
Son vocabulaire de formes profondément original se nourrit de l’énergie des champs magnétiques. Fasciné par l’univers de la technologie moderne, par les radars qui détectent les objets métalliques dans le cosmos ou par les ondes invisibles qui transmettent des messages et des sons, il opte pour le magnétisme en inventant ses Télésculptures. Un simple clou reste en suspension, retenu par un aimant.
Ce défi à la gravité trouvera son paroxysme lorsqu’il exposera son «homme dans l’espace» (L’impossible, un homme dans l’espace, 1960), le poète Sinclair Beiles proclamant «I am a sculpture» tandis qu’il est suspendu dans le vide retenu par des aimants. L’introduction de la lumière et celle de l’électroaimant, qui ajoute aux dispositifs une vibration continue ou des mouvements soudains et aléatoires, viennent compléter cette première époque d’expérimentations plastiques. Takis travaille alors aux côtés des plus grands scientifiques lors d’un séjour au MIT (Massachusetts Institute of Technology).
Poursuivant ses recherches, il y associe la lumière (avec les Télélumières, où le mercure en fusion conduit l’électricité dans des lampes dignes des laboratoires primitifs) et le son avec les sculptures musicales.
Il multiplie les expériences en réalisant des performances, travaille pour le théâtre et le ballet et développe plus tard ses projets dans l’espace urbain. Il cherche également à mieux intégrer l’art dans la société, avec une production abondante de multiples, tout en étant un éternel contestataire, comme en témoigne son rôle dans l’Art Workers’ Coalition défendant les droits des artistes aux États-Unis. Takis est très certainement l’artiste de sa génération qui a su le mieux relier l’art à la science, ouvrant la voie à toutes sortes de parcours artistiques dans les décennies suivantes.
Commissaire : Alfred Pacquement